vendredi 20 mars 2020

Oublier Klara, Isabelle Autissier

Si vous êtes comme moi, vous connaissez surtout Isabelle Autissier pour ses talents de navigatrice. Eh bien, figurez-vous qu'elle est également romancière ! Bon, pour ma part je le savais déjà, étant donné le succès qu'avait eu Soudains, seuls. Et justement, j'étais curieuse de découvrir la plume de cette femme qui, en tant que grande voyageuse, a beaucoup à nous apprendre sur notre planète. 

La promesse de son dernier roman, Oublier Klara, m'a vite emballée : une histoire familiale qui a ses racines en Russie, à Mourmansk. J'avoue que ce territoire exerce une certaine fascination chez moi. Iouri qui a fui la Russie, ou plutôt un père violent, et une enfance qu'il veut oublier, est amené à rouvrir le livre de son passé, alors qu'il est appelé au chevet de son père qui se meurt. Lui-même s'interroge sur sa démarche. Va-t-il pardonner à ce père qui a meurtri son enfance ? Pourquoi, au juste, retourne-t-il dans ce pays où il sa véritable personnalité ne peut pas s'exprimer librement ? En retrouvant son père, Iouri va, contrairement à ce qu'il espérait, allonger la liste de ces questionnements. Son père lui parle de sa propre mère, Klara, dont il n'a que peu de souvenirs. A vrai dire, il se souvient surtout du jour où elle lui a été enlevée pour être déportée au Goulag, jour où son enfance heureuse s'est terminée. Il n'a jamais su pourquoi cette scientifique renommée avait été ainsi arrachée à sa famille, quel était réellement son crime. Alors, à l'article de la mort, il demande à son fils de mener l'enquête pour lui. A travers cette figure maternelle aimante, à travers l'investigation de ce passé, les deux hommes vont-ils enfin trouver un point d'entente ? 

Dans ce roman, les destins, et les voix s'entrecroisent. Au fur et à mesure que Iouri se penche sur son passé, on plonge avec lui dans différentes pages de son histoire, jusqu'à éclairer les zones d'ombre qui peuvent subsister dans ce récit familial. Et au sein de cette famille, elles sont nombreuses. Il y a beaucoup à découvrir en allant gratter le vernis. Isabelle Autissier sait nous montrer les failles de ses personnages, leurs fragilités. Si l'écriture est sans concession envers les torts de chacun, elle nous montre tout de même que tout n'est pas noir ou blanc, et que la dureté d'un père peut trouver sa source dans une enfance trop vite terminée. Dans le même temps, la sensibilité apparemment exemplaire d'un fils recèle des erreurs de parcours insoupçonnées. C'est cette justesse des personnages qui est ici à souligner, et qui fait que cette histoire vaut la peine d'être lue. On ressent à travers ces pages la minutie dont l'autrice a dû faire preuve dans son travail de documentation. Rien n'est laissé au hasard, et pour autant, cette documentation ne vient pas alourdir le roman. 


Cette lecture est également appréciable pour la beauté des paysages qu'elle nous donne à voir. Beauté cruelle, certes, pour cette Sibérie glaciale, mais il faut souligner le talent de l'autrice pour décrire les scènes en pleine nature. On ressent également tout son amour de la mer, au travers du personnage de Rubin, le père, marin-pêcheur. Il aimait son métier, aussi rude fût-il, et on ressent aisément son grand respect pour l'élément maritime et son écosystème malmené. Iouri, quant à lui, est davantage touché par les oiseaux que par les poissons. Là encore, son exploration du territoire se fait avec amour, et  on voit à travers les pages son envie, autant que celle d'Isabelle Autissier, de transmettre ses connaissances. Cependant, c'est leur amour de ces différents éléments qui vont conduire les deux hommes à un profond désaccord, l'un aimant par-dessus tout être aux commandes de son navire en mer, alors que l'autre préfère largement rester au calme des arbres pour observer le ballet des oiseaux. Quoiqu'il en soit, on ressent derrière ce récit l'urgence écologique, un sujet important pour la romancière. Derrière une société avide de consommation et de rendement, elle nous fait voir l'importance qu'il y a à adopter un rapport contemplatif à la nature, pour mieux la respecter. 

Ce roman a donc un message important à faire passer, et cette dimension écologique constitue le talent et la personnalité littéraire d'Isabelle Autissier. Cependant, j'ai trouvé ça presque un peu trop convenu par moments, notamment dans les rapports entre les personnages. En tous cas, il manque à mon sens à ce livre le petit quelque chose qui pourrait en faire une lecture inoubliable. 

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