vendredi 5 mars 2021

Là où nous dansions, Judith Perrignon

La lecture de ce livre est un peu... une bête erreur de parcours, et pourtant il m'a beaucoup plu ! Je connaissais déjà l'autrice, notamment pour Victor Hugo vient de mourir, que j'avais beaucoup aimé. En jetant un oeil distrait au résumé de ce nouveau roman, j'ai lu "IRA", et j'en ai déduit qu'il y serait question de l'Irlande, je l'ai donc pris sans me poser plus de questions. Et puis finalement, il s'est avéré que ce n'était pas du tout en Irlande que se déroulait cette intrigue, mais à Detroit, aux Etats-Unis ! 

En fait ce n'est pas de l'IRA qu'il est question, mais d'Ira, flic à Detroit. Sa collègue Sarah enquête sur un corps non identifié, retrouvé dans les ruines du Brewster Douglass Project, complexe immobilier de logements sociaux pour les Noirs de la ville, pensé et défendu par Eleanor Roosevelt. Ces barres d'immeubles, et les quartiers environnants, pour certains, c'est l'âme de la ville. Et pourtant, tout ou presque a été rasé : Detroit a été désignée comme ville en faillite, et le Brewster disparaît lui aussi, à son tour. Mais avant cela, il reste cette affaire à élucider : un jeune homme blanc, inconnu des services de police, retrouvé mort, tué par balle, au milieu des tours. A travers cette enquête, c'est toute l'histoire de la ville de Detroit qui se déroule sous nos yeux. 

Sarah est blanche, elle a surtout vécu en dehors de la ville, et même si elle est très attachée à l'identité musicale de Detroit. La musique à Detroit, "c'est comme un pouls qui revient au poignet d'un corps qui agonise". Elle nous montre la ville avec des yeux d'étrangère, même si elle y est très attachée. C'est véritablement à travers Ira, et sa famille, que nous découvrons réellement cette ville, usée notamment par le fordisme, puis par les plans sociaux, pour les Noirs, ou contre les Noirs ? - allez savoir. En effet, derrière l'idée d'Eleanor Roosevelt de leur proposer des logements à loyer réduit, il y a aussi la logique de les parquer, comme des bêtes, dans des logements presque insalubres, loin des Blancs. Et pourtant, le Brewster Project, même si c'est un lieu de petite délinquance, d'enfance reléguée, c'est aussi de là que sont parties de belles histoires. Notamment celle de The Supremes, ce groupe de musique féminin, très populaire aux Etats-Unis. Avec ses yeux d'enfant du quartier, à travers son oncle Archie, Ira nous fait pousser les portes des appartements du Brewster, il fait revenir à sa mémoire le souvenir de sa mère, Geraldine, dansant devant son évier, heureuse de vivre dans cet appartement, malgré les cafards à chasser éternellement, et de sa grand-mère Roselle, qui, veuve, ne s'en est sortie qu'en emménageant dans le Brewster. Alors que les dernières tours s'apprêtent à être démolies, nous revivons les années fastes de ces immeubles, à travers leurs habitants. 

Judith Perrignon mêle les époques avec brio, rendant ce récit vibrant de colère et d'émotion. Elle nous fait, à travers ces portraits d'hommes et de femmes, la peinture d'une Amérique broyée par le capitalisme et libéralisme, par les conflits raciaux aussi. Elle qui a vécu au cœur de cette ville, qui a côtoyé de près ses habitants, elle veut à tout prix nous la rendre vivante, nous faire sentir sa vibration. Son travail de narration et de mise en voix est parfaitement orchestré. Elle parvient à tirer les ficelles de ce récit avec tellement de maîtrise qu'on en oublie notre position de lecteur, derrière le papier, pour aller déambuler dans les rues de Detroit, assister réellement à ces scènes. 

Un très beau roman, qui nous amène à découvrir une dure réalité dont nous, français, n'avons pas vraiment idée. C'est ça la force de la littérature : enrichir le lecteur d'une nouvelle culture, d'horizons qu'il n'avait alors même pas imaginés. 

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