jeudi 19 décembre 2019

Civilizations, Laurent Binet

Laurent Binet fait partie des auteurs qui m'intriguent. Plus précisément, ses publications m'attirent, même si jusque là je n'avais lu qu'un seul de ces romans. "Lu" n'est d'ailleurs pas le bon terme : j'avais découvert HHhH en livre audio, mais je n'avais pas vraiment aimé ce livre, ni tout à fait roman, ni tout à fait essai historique. Et pourtant, ça ne m'empêche pas d'avoir envie de lire les autres romans de cet auteur ! Une lacune en partie comblée, désormais, puisque j'ai lu son dernier ouvrage : Civilizations.

Il faut dire aussi que ce titre a tout pour me plaire : le côté historique, que j'apprécie même si j'en lis peu, et l'uchronie, un exercice littéraire qui m'amuse beaucoup quand il est bien mené. Et c'est tout à fait le cas ici ! Laurent Binet nous livre une chronique historique qui s'étend sur plusieurs siècles, et on se laisse très facilement prendre au jeu. Dans cette dystopie, on part du postulat que ce sont les Incas qui ont conquis l'Europe, et non l'inverse. Pour cela, il a fallu que des vikings viennent se mêler à la population Inca autour de l'an mille, que Christophe Colomb ne revienne pas vivant de son expédition de 1492, et qu'Atahualpa décide ensuite de prendre la mer pour aller envahir l'Europe. Autour de ces trois faits, l'auteur brode un nouveau fil rouge historique, et il le fait à merveille. Il parvient avec brio à mélanger les genres du récit : une partie purement chronologique, un extrait de carnet de voyage, une analyse historique et diplomatique viennent tour à tour nous apporter les clés de compréhension nécessaires à cette leçon d'histoire revisitée. On a réellement l'impression de lire des documents réels, ce qui montre le travail immense qu'a du faire l'auteur de documentation extra-textuelle. Et dans le même temps, cette grande variété de style évite l'ennui, qui pourrait gagner certains lecteurs peu habitués aux essais. 


En plus de cette grande inventivité dans l'écriture, il faut souligner l'intelligence de l'entreprise. Le jeu de la diplomatie est très bien étudié, calqué sur les rapports de force existant réellement en Europe à cette époque, pour mieux imaginer les conséquences des différents choix d'alliance que fera Atahualpa une fois arrivé dans ce "Nouveau Monde". En inversant les choses, Laurent Binet se prend d'ailleurs au jeu de réinventer les guerres de religion. Même si on pressent qu'il avait certainement des comptes à régler avec le christianisme, cette question est elle aussi abordée avec intelligence, mettant en lumière une nouvelle religion amenée par Atahualpa, le culte du soleil. L'auteur se plaît d'ailleurs à réécrire cette partie de l'histoire en démantelant l'Inquisition et tous ses travers, et en mettant en avant une certaine liberté de religion. On a plaisir à retrouver les grandes figures historiques de l'époque, et cela prouve le grand travail de recherche qui a dû être effectué, afin de respecter tous ces codes pour mieux les détourner. 

J'ai également pris beaucoup de plaisir à la lecture des derniers chapitres, qui mettent en scène de nouveaux personnages, plus littéraires que politiques, cette fois. Cela constituait un clin d’œil très amusant, même si je ne suis pas certaine de la nécessité de cette partie au sein du récit. Je n'en dis pas plus, afin de laisser la surprise aux littéraires qui, comme moi, souriront devant l'introduction de ces personnages. 

Au final, c'est donc un roman que j'ai lu avec beaucoup de plaisir, et que j'ai trouvé d'une qualité nettement supérieure à HHhH. Si vous avez parmi vos proches des amateurs d'histoire à l'esprit malicieux, il est encore temps d'aller acheter ce livre pour le mettre au pied du sapin ! 


Merci à NetGalley et aux éditions Grasset pour cette lecture !





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