vendredi 12 novembre 2021

Broadway Limited, Malika Ferdjoukh

Bon, soyons honnête, Broadway Limited est une série dont vous avez, très probablement, déjà entendu parler avant de lire cet article. Cette trilogie a eu un énorme succès, l'autrice est loin d'être une inconnue, puisque, je crois, nous sommes beaucoup à avoir dévoré la série Quatre soeurs à l'adolescence... Bref, je ne vous ferai peut-être pas découvrir quelque chose aujourd'hui. Mais pour ceux qui ont juste vaguement entendu parler de Broadway Limited sans encore avoir plongé dans ces trois romans, j'espère que mon article du jour vous donnera immensément envie de passer le pas. Pour ma part, je gardais cette série dans un coin de ma tête depuis un moment, à ajouter à ma PAL un jour ou l'autre. Cet été, j'ai trouvé le premier tome d'occasion sur un marché, et je l'ai lu à la fin du mois dernier pour un challenge... Eh bien impossible de résister à l'attente, je me suis acheté les deux tomes suivants dans la foulée, et j'ai tout dévoré en moins d'une semaine ! Gros gros coup de cœur, donc. 

 Dans cette trilogie, nous suivons les pensionnaires d'une pension new-yorkaises pour jeunes filles, à la fin des années 1940. Les Trente Glorieuses battent leur plein, la jeunesse est décidée à profiter de la vie après ces années de guerre, et New-York et Broadway offrent de belles opportunités à ceux qui veulent devenir chanteurs, acteurs ou danseurs. C'est dans ce contexte que nous suivons les jeunes filles logées à la pension Giboulée. Page travaille dur pour devenir actrice ;  Manhattan et Hadley rêvent de danser dans de grandes revues, même si elles chamboulent elles-mêmes ce rêve pour suivre d'autres motifs cachés ; Chic enchaîne les castings pour jouer dans des pubs télévisées ; Ursula voudrait chanter ; et Jocelyn est déjà un musicien talentueux. Attendez, quoi ? Un musicien ? Dans une pension de jeunes filles ? Ok, on reprend depuis le début. Le roman s'ouvre sur un délicieux quiproquo avec l'arrivée de Jocelyn, jeune étudiant français recommandé par un ami américain. Pour les américaines qui tiennent cette pension, Jocelyn (prononcer "ine") était forcément une femme. Sauf que voilà un jeune homme, Jocelyn (prononcer "ain"), qui après d'âpres négociations, est admis à la pension Giboulée. Et nous suivons, au fil des trois tomes, une année de la vie de ces jeunes gens, vie haute en couleurs, riches en émotions. 

Dans cette série, on ne peut qu'admirer le talent de Malika Ferdjoukh. Dès les premières pages, elle plante une ambiance délicieuse, au gré de dialogues virevoltants qui nous emportent dans un rythme endiablé. Son écriture est malicieuse, elle se joue des mots, des quiproquos, des attentes du lecteur aussi... J'avoue connaître assez peu la culture de cette fin de décennie, mais plus je lisais, et plus j'avais en tête des airs de mambo et autres danses pleines de bonne humeur. On passe d'un personnage à l'autre, et tous leurs destins sont aussi passionnants les uns que les autres ; d'un couple à l'autre et ils sont tous aussi attachants ; d'une scène artistique à l'autre et elles sont toutes aussi entraînantes. C'est Broadway, le rêve américain, et on rêve nous aussi de paillettes et de gloire. Je n'ai eu aucun mal à m'attacher aux personnages, et j'ai très vite vibré d'émotion avec eux. Eventuellement, on peut faire le reproche qu'il y a peut-être trop de personnages secondaires. En effet, au début j'ai pu être perdue, mélangeant quelques jeunes filles et leurs professions, et puis j'aurais aimé voir certaines intrigues mieux développées, et notamment celle de Silas, jeune noir, et Ursula, qui forment un couple secret. Mais cette grande galerie de personnages concourt à l'effervescence qui règne dans ce roman, à l'image même de celle que l'on retrouve dans les rues de New-York. 

Ce roman fait donc la peinture d'une époque et d'un milieu artistique avec brio. Tout n'est pas dit, on ne détient pas forcément toutes les références culturelles, mais cela importe peu : on ressent, et c'est le plus important, la plus grande forme de réussite d'un roman. On aura plaisir à côtoyer des célébrités qui ne le sont pas encore : on croise ainsi Grace Kelly, Marlon Brando, Woody Allen, et d'autres encore. Cela ne fait qu'ajouter un peu plus de piquant à cette série de romans, qui déclenche un formidable plaisir de lecture. Elle est à lire absolument, alors si vous voulez craquer et vous l'acheter, c'est en quelques clics à partir de l'image ci-dessous, ou chez votre libraire préféré ! 



mardi 26 octobre 2021

Les contraceptés, Guillaume Daudin, Stéphane Jourdain, Caroline Lee

 Le jour de la sortie de cette BD, ma collègue est arrivée dans la salle de pause, a posé le livre sur la table devant moi, et est repartie. Pour elle, c'était une évidence que cette BD m'intéresserait. Et je dois dire qu'elle n'avait pas tort ! En étudiant la couverture de plus près ("Les contraceptés - Enquête sur le dernier tabou", "préface de Camille Froidevaux-Metterie"), j'en ai été convaincue à mon tour. 

Guillaume Daudin et Stéphane Jourdain sont deux journalistes plutôt avancés dans leur parcours de déconstruction des schémas sociétaux traditionnels, et notamment dans leurs rapports à leurs compagnes, et à la charge mentale. Une discussion sur ces sujets en amenant une autre, ils se sont lancés dans un travail d'investigation autour d'un sujet qui représente encore un grand tabou : la contraception masculine. De temps à autre, le sujet surgit dans les médias, promettant une étude sur une pilule masculine, puis démentant cette promesse suite à des effets secondaires indésirables trop importants... ce qui fait bien rire (jaune) les femmes ! Passé ce premier constat, les deux auteurs se sont dit qu'il devait bien exister d'autres méthodes, que certains hommes pratiquaient une forme de contraception masculine ! Les voilà donc partis à la recherche de ces quelques contraceptés. 

L'enquête commence par un retour en arrière, et les premières études autour du sujet, qui laissaient entrevoir de belles avancées, au moment où l'avortement devenait légal en France. Puis le Sida a fait irruption, et les études de santé sexuelle ont priorisé ce sujet, mettant de côté d'autres chantiers en cours. Le sujet de la contraception masculine en a fait les frais, et n'a pas été repris depuis. Pourtant, des hommes prennent bel et bien une contraception, mais alors laquelle ? La méthode souvent privilégiée est le slip chauffant. Si vous êtes comme moi, novice sur le sujet, vous imaginiez certainement un slip doté d'une chaufferette, chose qui, on l'imagine, ne doit pas être très confortable. En réalité, cette méthode thermique utilise uniquement la température corporelle. Naturellement, la température des testicules est inférieure à 37° (la température corporelle), c'est ce qui permet la fabrication des spermatozoïdes en grand nombre. Si on rapproche les testicules du corps, en les remontant, la spermatogénèse diminue drastiquement, et l'homme est contracepté. Il faut donc un slip doté d'un anneau par lequel on passera la verge et les testicules (la taille s'adapte), porté 15h par jour, et sous trois mois, l'effet peut être fiable. Une autre méthode se limite à un anneau fabriqué... dans le garage d'un homme. Car évidemment, aucune de ces techniques n'est reconnue par les autorités de santé publique, et donc tout cela est fabriqué de façon totalement artisanale. La BD nous montre des réunions d'hommes apprenant à utiliser une machine à coudre pour confectionner eux-mêmes leurs slips... 

La méthode thermique est la plus longuement évoquée ici, au point de bouleverser la vie et les idées des deux journalistes. Mais ils se penchent aussi sur les rares études autour de la pilule masculine, nous éclairent sur le principe de la vasectomie, très pratiquée aux Etats-Unis, et quelques méthodes d'injection hormonales qui n'ont, pour le moment, pas donné de résultats très concluants. Ce qui est le plus frappant, dans cette enquête, ce sont les chiffres. Les chiffres ridiculement bas des hommes ayant eu le courage d'utiliser la méthode thermique avec tout ce qu'elle a d'artisanal, pour le moment. 25 hommes en France à la fin des années 80. 50 hommes en simultané, en France, à l'âge d'or de cette méthode. Les chiffres exorbitants, aussi, du financement des études nécessaires à faire connaître cette méthode. Tout cela est assez décourageant de la part des services publics. L'espoir, finalement, repose sur les épaules de quelques hommes qui, dans leur individualité, s'interrogent sur ces questions et décident, un jour, de prendre leur part de charge contraceptive dans leur couple. Ces hommes qui décident de faire le nécessaire pour éviter à leurs compagnes tous les maux induits par la prise de la pilule, maux qui les touchent bien plus qu'on ne le croit. 

On ne peut que remercier ces auteurs pour le gros travail de font effectué, et pour la démocratisation de ces idées, grâce à une BD, support documentaire léger qui permet de rendre les choses très accessibles. La meilleure façon de les remercier ? Parler de cette BD, la lire, l'offrir, faire réfléchir pour faire avancer. Encore un beau travail documentaire réalisé par les éditions Steinkis. Alors messieurs, prêts à entamer cette réflexion ? Pour vous procurer cette BD, vous pouvez le faire en quelques clics à partir de l'image ci-dessous. 



mardi 19 octobre 2021

Royal Special School, Yaël Hassan et Nancy Guilbert

 Après ma lecture du tome 2 de cette petite duologie, je m'aperçois que je ne vous avais parlé du premier tome par ici, seulement sur Instagram... Mais c'est tout aussi bien, puisque cet article va donc vous permettre de découvrir de toutes pièces cette série fantastique pour la jeunesse ! 

Une île écossaise, des fantômes, deux jeunes filles prêtes à tout pour mener l'enquête... Ce roman avait tout pour me plaire ! C'est donc avec un très grand plaisir que j'en ai découvert le premier tome paru en ce début d'année, grâce aux éditions Gulfstream, que je remercie à cette occasion pour leur confiance. J'attendais beaucoup du premier tome, et il était un poil en dessous de mes attentes, mais après avoir lu le deuxième et dernier tome, je garde un souvenir plein d'affection de cette duologie, qui saura séduire les plus jeunes lecteurs. 

Rose fait son entrée à la Royal Special School, située dans les Foggy Islands, en Ecosse. Son grand frère Marcus y a étudié quelques années auparavant, et y a forgé une amitié solide avec Niven, un garçon qui a malheureusement perdu la vie au sein de l'institution. En arrivant au pensionnat, Rose découvre bien vite qu'un mystère plus épais qu'on ne veut bien l'avouer plane autour de ce décès. De son côté, Virginia fait également ses premiers pas au sein de cette institution, en tant qu'apprentie cuisinière. La jeune fille n'a jamais appris à lire et à écrire, mais n'en a aucunement le loisir, originaire d'une famille pauvre. Les deux jeunes filles vont nouer une solide amitié, bien que leur différence sociale n'en laissait rien présager. Mais leur séjour à la Royal sera vite bouleversé par l'apparition de... fantômes ! Elles s'aperçoivent vite qu'elles sont les seules à les voir et les entendre, et bien vite, l'identité des trois fantômes est dévoilée : Niven, l'ami de Marcus décédé, Cornelia, l'ancienne cuisinière qui a perdu la vie peu après le jeune homme, et Augustus, le bibliothécaire atteint de la grippe espagnole, tué par la maladie. Ces trois fantômes comprennent que s'ils errent encore parmi les vivants, c'est pour résoudre le mystère qui plane autour de leur mort. Ce que Rose et Virginia tenteront de les aider à entreprendre. 

Comme je le disais, le premier tome ne m'avait pas entièrement conquise. J'en attendais peut-être beaucoup, mais j'avais perdu de vue qu'il s'agit là d'un roman pour les jeunes lecteurs, autour de 10 ans, et que donc, forcément, des éléments me paraitraient faciles. Une erreur de la lectrice chevronnée que je suis. En effet, certains points de l'intrigue se résolvent avec une facilité déconcertante, et certaines péripéties sont trop grosses pour qu'un lecteur aguerri s'y laisse prendre. De plus, je n'ai pas franchement apprécié les tirades théâtrales de Virginia, âme poétique bien qu'illettrée : cela n'ajoutait pour moi rien au texte, et ces quelques passages étaient même parfois un peu lourds. Mais pour la lecture du deuxième tome, paru en pleine rentrée littéraire, j'ai su mettre de côté mes réserves, pour mieux savourer l'ambiance délicieuse de ce roman. 

En effet, Yaël Hassan et Nancy Guilbert ont su retranscrire à merveille l'ambiance attendue d'une île écossaise pleine de brouillard et de mystère. A la faveur d'un début d'année scolaire, rythmé notamment par Halloween, l'arrivée de la neige, puis Noël, elles plantent un décor digne d'un conte gothique. Un pensionnat mal chauffé, à la grande porte qui grince, un lac marécageux peuplé de kelpies (cheval fantôme écossais)... Tout est réuni pour donner une aura de mystère à cette intrigue. Les amoureux de l'Ecosse y retrouveront quelques scènes gastronomiques qui mettent l'eau à la bouche, dont on se régale. Les deux autrices nous font ainsi plaisir avec ce décor qui, sans nul doute, plaira au plus grand nombre. Fantômes, enquête et coups de théâtre, ces deux petits romans sauront séduire les jeunes lecteurs ! 

Pour acheter les deux tomes de cette série, vous pouvez cliquer sur l'image ci-dessous, ou vous rendre chez votre libraire ! 



mardi 12 octobre 2021

L'arpenteuse de rêves, Estelle Faye

 Cette semaine, paraît un roman d'Estelle Faye, une autrice de SFFF dont j'ai déjà repéré le travail, mais dont je n'avais encore rien lu. C'est donc en jeunesse que je la découvre, avec son roman L'arpenteuse de rêves

Une arpenteuse de rêves, c'est une personne qui a le pouvoir de pénétrer les rêves des autres. Myri en est une, même si elle a renoncé à cette faculté suite à la mort de sa petite sœur. Depuis, elle survit tant bien que mal dans la ville basse, quartier mal famé, et s'est trouvé une nouvelle famille, faite de jeunes gens tout aussi démunis qu'elle. Ensemble, ils font face à une nouvelle malédiction tombée sur leur quartier : l'arrivée de fantômes qui peuplent le sommeil des habitants d'atroces cauchemars, et qui amènent avec eux une pollution qui, si elle était déjà bien présente, prend désormais des proportions invivables. Lorsque le plus jeune membre de cette famille est à son tour atteint du mal des fantômes, Myri revient sur la promesse qu'elle s'était faite de ne plus utiliser son don. Ce qu'elle découvrira alors, dans les rêves du jeune garçon, et dans les siens propres, pourrait bien changer son existence, et celle de tous ses concitoyens. 

L'univers que nous découvrons ici est semblable à bien d'autres dans les dystopies jeunesse. Si les règles de celui-ci manquent quelque peu d'originalité, le lecteur s'embarque sans mal dans les rouages de cette société. L'originalité de cette intrigue tient ici à l'impact des rêves sur la vie réelle. Pour Myri, les rêves iront même jusqu'à devenir une réalité parallèle, qui agira d'une façon inattendue sur son propre destin. Pour la jeune fille, cette quête est autant collective que personnelle, elle qui ne s'est toujours pas reconstruite suite au décès de sa sœur. De ses rêves, elle rapportera ce qui pourrait bien sauver sa cité, et la possibilité de son propre salut, si elle parvient à saisir les chances qui s'offrent à elle. Au schéma somme toute assez classique de ce roman initiatique s'ajoute une dimension écologique forte, qui fait écho dans nos sociétés, à la lueur des récents événements. Estelle Faye ne se contente pas de nous offrir une lecture divertissante, elle est aussi porteuse d'un message fort, et c'est tout l'intérêt de ce roman. 

Enfin, la dernière qualité de ce texte, et non des moindres, en est une que l'on souhaite voir toujours plus, plus souvent, dans la littérature jeunesse. Avec cette lecture, enchaînée après celle de Villa Anima dont je vous ai déjà parlé, j'ai pu lire à la suite deux romans jeunesse avec une héroïne qui sort du schéma traditionnel de l'héroïne hétérosexuelle dont l'histoire d'amour occupe une place centrale dans l'intrigue. Et c'est quelque chose que j'aime de plus en plus : pas de romance systématique dans la littérature ado, et stop à ce schéma de l'héroïne forte qui succombe tout de même au jeune homme venu l'aider ! Merci Estelle Faye pour ça ! 

Si vous voulez, vous aussi, augmenter votre ratio de romans jeunesse sans romance centrale, n'hésitez plus, précommandez ce livre pour le dévorer dès cette semaine ! C'est possible en quelques clics, depuis l'image ci-dessous. 



jeudi 30 septembre 2021

Parlons peu, parlons vins...

 C'est la saison des vendanges, des foires aux vins dans les grandes surfaces... et sur les tables de vos librairies fleurissent aussi les ouvrages sur le sujet ! Je vous parle de mes favoris du moment, pour vous aider à y repérer. Certes, il y a les classiques guide Hachette des vins et autres Larousse... Mais des ouvrages plus originaux existent, qui feront de belles idées cadeaux, pour un anniversaire, ou déjà pour préparer Noël ! 

La carte des vins, s'il vous plaît

J'aime beaucoup cette collection autour du vin, et des autres alcools, très graphique et visuellement très claire et didactique. Chaque double-page présente un vin, ou un alcool dans le second opus, Le tour du monde en 80 verres. Les deux autres, La carte des vins et La route des vins se concentrent uniquement sur les vins. Le premier nous propose des vins du monde entier, mais le second, qui est aussi le dernier paru, reste centré sur la France. Dans chaque région viticole, les différents cépages nous sont présentés, avec des détails sur la formation des sols et ce qu'ils impliquent pour les vins qui en viennent, l'histoire des plus grands crus, et bien sûr, des infographies colorées pour visualiser toutes ces informations. Quant au dernier livre, Le tour du monde en 80 verres, comme son nom l'indique, s'attache à nous présenter différents alcools issus des cinq continents. Là encore, nous sommes informés de leur histoire, les coutumes qui y sont associées, mais aussi des idées de cocktails, des conseils de dégustation. Ces trois ouvrages forment une belle collection, et offrent de belles idées cadeaux. Seul reproche à faire, notamment au dernier titre évoqué : une sélection très européanocentrée... Sur 80 verres, la moitié sont européens... les 40 autres se répartissent donc entre américains (Nord et Sud sont distingués), africains, asiatiques et océaniens. On imagine donc le peu de breuvages pour certains continents défavorisés. 



Manifeste pour un vin inclusif

C'est là qu'on en vient au propos d'une autrice vigneronne : Sandrine Goeyvaerts. Rendre le monde du vin plus inclusif : pourquoi, comment ? Le pourquoi, c'est assez facile d'y répondre, lorsqu'on est soi-même une femme qui boit du vin. Les discussions en salon du vin où on est ignorées, le restaurant où le vin commandé par Madame est proposé à Monsieur pour goûter... A cause d'un effet de tradition, on accorde moins de crédit aux femmes pour comprendre les termes techniques, et celles-ci, de leur propre aveu, se sentent exclues dans ce domaine si masculin. Si cela vaut pour les femmes, on peut aisément le transposer aux personnes racisées, aux LGBT, et autres minorités, visibles ou invisibles. Selon l'autrice, changer cet état de fait passerait en premier lieu par le langage. Il est vrai que les critiques gastronomiques et autres cavistes et négociants utilisent bien volontiers des termes très imagés et peu représentatifs. Entre les précisions sur la robe du vin, les jambes ou la cuisse, ces critiques qui parlent de vins "bien en chair"... Vous admettrez que cela véhicule une image plutôt sexiste de cet univers. On y pense moins, mais il est bon aussi de se méfier, lorsque l'on cherche à qualifier le goût du breuvage, de termes évoquant l'exotisme : car ce qui est exotique à nos yeux, l'est-il réellement aux yeux de personnes issues d'un autre continent ? Pourtant, ces personnes ne sont-elles pas tout autant capables que nous, français blancs, de savourer un bon vin ? 


Tout l'enjeu, selon l'autrice, est donc de réfléchir à un langage plus inclusif, moins fourni d'images qui ne parlent qu'à certains. Décrire les goûts que l'on ressent ne devrait pas nécessiter un vocabulaire sexiste ou raciste. Se baser sur des observations concrètes (odeur de fruits, goût d'épices, etc) ne peut-il pas suffire ? Sandrine Goeyvaerts invite également les femmes ou les personnes racisées souhaitant déguster des vins à se réunir en non-mixité, ou du moins en mixité choisie. En effet, on constate assez aisément que, lors de réunions de dégustation, des femmes, des personnes racisées ou encore handicapées, ont parfois du mal à s'exprimer face à certains messieurs qui semblent se parler entre initiés... alors qu'ils le sont parfois bien moins que ceux qu'ils excluent. Apprendre à déguster du vin sans s'entourer d'hommes cis blancs peut permettre de gagner en aisance dans ce domaine, et de se sentir ensuite davantage à sa place, fort.e.s des connaissances acquises. 

Un beau programme que nous propose ce court essai, une réflexion à mener pour que le vin se démocratise. Coup de cœur pour ce texte sur le vin qui ne consiste pas en une énième glorification d'un univers très fermé sur lui-même. Vous pouvez, et je ne peux que vous y encourager, comme d'habitude, vous procurer ce petit ouvrage en cliquant sur l'image ci-dessous. 



vendredi 24 septembre 2021

Villa Anima, Mathilde Maras

 Aujourd'hui, je vous parle d'un des premiers romans jeunesse de cette rentrée 2021 que j'avais repéré, avant même l'été : Villa Anima

La société dans laquelle vit Magda est répartie en différentes castes sociales, symbolisées par les écharpes de pouvoir. Beaucoup sont ceux qui n'en détiennent aucune, à l'instar de la famille de la jeune fille, ceux-là sont alors limités en droits, c'est la catégorie sociale la plus basse, la plus pauvre. L'écharpe verte permet d'accéder à quelques droits, même minimes. Les bourgeois ont des écharpes oranges, mais ceux qui détiennent réellement le pouvoir sont ceints de bleu. Enfin, la couleur rouge échoit aux rares élus qui ont alors la possibilité de prétendre au trône de l'Empereur. Toutes ces écharpes s'obtiennent de façon héréditaire pour les hommes (les filles de dignitaires n'ont droit à rien...), ou en présentant les épreuves de la Villa Anima, lieu empreint d'une aura de mystère, réputé impitoyable envers ses candidats. Magda tombe enceinte à 16 ans, certes d'un jeune homme qui l'aime et est prêt à assumer cette charge, mais à un moment de leur vie qui n'y est pas propice. En tentant d'obtenir l'écharpe verte, elle gagnerait le droit d'avorter, alors elle prend son courage à deux mains, et se prépare à affronter la Villa Anima. 

Nous assistons ici à une réelle prise de conscience politique, dans une société empreinte d'une grande misogynie. En pénétrant dans la Villa, Magda laisse derrière, sans le savoir, elle tout ce qui constituait son passé. Elle se tourne alors résolument vers la première épreuve, et toutes les possibilités qu'une victoire lui ouvrirait. Et très vite, elle réalise plusieurs choses. D'abord, la facilité de l'épreuve la déconcerte, alors que les décisionnaires font toute une montagne autour de la possession ou non de l'Esprit, nécessaire pour devenir un citoyen à part entière. Et si les plus pauvres étaient ainsi, volontairement, tenus à l'écart du pouvoir ? Mais surtout, Magda prend conscience dès les premiers instants qu'elle devra se méfier du maître de cérémonie qui, sous ses airs affables, cache difficilement un grand mépris de sa condition féminine. 

Ce roman présente toutes les qualités d'un bon huis-clos, d'une bonne dystopie. Une sensation d'étouffement nous accompagne jusque dans les toutes dernières pages, l'impression que tout se joue entre ces murs alors même que ces derniers jouent bien des tours à notre héroïne. Mais la sensation d'enfermement est aussi à prendre au sens littéral : comment croire qu'une simple jeune fille arriverait à changer, non seulement sa condition, mais aussi la société, dans un monde où une si petite place lui est laissée ? L'autrice nous donne parfaitement bien à voir le rôle si restreint alloué aux femmes, le mépris et la détestation des hommes envers ce sexe prétendument faible, et les cordes qu'ils tirent pour asseoir leur domination. Cette dystopie féministe est riche d'enseignements. Je regrette simplement de ne pas avoir pu m'attacher davantage à l'héroïne. Magda nous est présentée dans sa détermination face aux épreuves, à travers les stratagèmes mentaux qu'elle met en place, mais une fois poussées les portes de la Villa, nous ne suivons plus grand chose de son attachement à ses proches, qui font simplement figuration. J'aurais aimé connaître mieux cette jeune femme pour elle-même, et non à travers son ambition, quoique tout à fait légitime. 

Un très bon roman qui vient de paraître, et qui mérite une attention toute particulière. Filles, femmes, lisez-le, bien des vérités en sortiront ! Pour vous le procurer, quelques clics suffisent à partir de l'image ci-dessous, ou bien chez votre libraire préféré ! 



mardi 7 septembre 2021

Plasmas, Céline Minard

 Alors que cette autrice me tente depuis longtemps, j'ai lu cette année mon premier Céline Minard ! Et je comprends mieux pourquoi son travail m'attirait. 

Plasmas, on ne sait pas bien si c'est un recueil de nouvelles, ou plutôt le roman du monde d'après, celui qui nous attend après les catastrophes écologiques vers lesquelles nous nous dirigeons. Chaque chapitre se suffit à lui seul, tout autant qu'il vient apporter sa pierre à l'édifice d'un univers futuriste dont nous découvrons peu à peu les lois, un univers post-apocalyptique. Dans ce monde, il y a des bots qui enregistrent les données humaines, de nombreuses créatures à l'intelligence bien supérieure à la nôtre, une Terre qui n'est plus habitable, une nature recréée de toute pièce, dans des bulles, puisque la nature telle que nous la connaissons a cessé d'exister. Vous l'aurez compris, dans ce livre il n'y a pas réellement d'intrigue linéaire, mais il y a, bien d'avantage, un message fort, celui de l'urgence écologique. Ce qui est dit, entre les lignes, mais avec suffisamment de puissance, c'est que si nous continuons ainsi, la tête dans le guidon, sans réfléchir, le monde tel que nous le connaissons court à sa perte. Alors certes, il y aura peut-être un autre monde, différent, qui viendra ensuite. Mais la nature à l'état libre n'y aura plus sa place, et les humains y seront détrônés. 

Dès les premières lignes, on sent que ce livre va demeurer plutôt obscur. On peut toujours tenter de relier tous ces éléments entre eux, afin de chercher la ligne directrice de l'intrigue, mais c'est une entreprise vaine. En réalité, tout l'intérêt de cet ouvrage réside dans l'écriture. Une écriture d'une précision impeccable, fine et ciselée. Chaque mot est à sa juste place, qui nous entraîne dans un tourbillon de sensations, qui nous donne à voir chaque scène, chaque biotope comme s'ils étaient devant nos yeux. Céline Minard ne pose aucun mot au hasard, elle fait montre d'un vocabulaire technique adapté à chaque situation. Qu'elle nous parle de l'agilité des acrobates, de la robe des chevaux nains, de l'activité aérienne autour d'un arbre dans la jungle, d'expérimentations botaniques, ses mots sont toujours maîtrisés et choisis. Il y a des livres où la langue présente plus d'intérêt que l'intrigue elle-même. Celui-ci en fait partie. Pour le lire, il ne faut pas chercher à comprendre. Il suffit de se laisser porter par cette plume, de se laisser emporter dans le tourbillon, et d'assister, en tant que témoin émerveillé, aux scènes qui se déroulent sous nos yeux. 

J'ai beaucoup aimé cette parenthèse de poésie dans laquelle cette lecture m'a entraînée. Céline Minard a en outre cette malice de faire de la science-fiction sans trop le dire, et j'aime ça ! Je suis convaincue que ce livre touchera plus d'un lecteur, alors pourquoi pas vous ? Si malgré tout mes arguments ne parviennent pas à vous convaincre, sachez que ce livre révèle bien des surprises, et qu'en allant au bout, vous assisterez à une scène de cosplay d'anthologie. Pour la découvrir, il ne reste plus qu'à cliquer sur l'image ci-dessous pour vous procurer ce livre !