mardi 17 septembre 2019

Rouge impératrice, Leonora Miano

J'ai terminé ce roman de la rentrée littéraire 2019 il  y a peu, et c'est une très belle découverte ! Cela faisait longtemps que les ouvrages de cette autrice m'attiraient, à chaque sortie, alors j'ai profité d'avoir vu Rouge impératrice sur Netgalley pour le solliciter. 

Ce roman, qui tire légèrement sur la science-fiction, nous emmène un siècle après le nôtre, au sein du Katiopa, autrement dit, le continent africain unifié et pacifié dans sa quasi-totalité. Si le fond géopolitique a toute son importance dans ce roman, ce n'est pourtant pas cela qui est au cœur de l'intrigue, mais une histoire d'amour. Une passion qui éclot entre le chef de l'état, Ilunga, et une universitaire, Boya. Si leur histoire semble d'un naturel désarmant, elle risque vite de devenir une réelle préoccupation pour l'entourage d'Ilunga, qui entrevoit les retentissements stratégiques de cette affaire. 



J'ai eu un réel coup de cœur pour ce roman, un pavé dense mais dont on peut tirer tellement de choses. C'était seulement ma deuxième expérience de lecture en littérature de la francophonie, africaine même pour être plus précise. Lors de mes études, j'avais lu Les soleils des indépendances, d'Ahmadou Kourouma, un roman dont la langue très imagée déstabilise dès les premières pages. Ici, la prose offerte par Leonora Miano est plus proche de ce que nous connaissons dans notre littérature très occidentale. Du moins, en apparence, puisqu'en fait, résonne derrière le texte tout un réseau de références bien loin de notre culture occidentale. Quelques termes africains sont présents dans le livre et reviennent souvent. Au début, je vérifiais la signification de chacun de ces termes sur Internet, mais j'ai vite arrêté : la méconnaissance de ces mots n'entrave en rien la compréhension, et cela permet même de se laisser davantage porter par la prose. Le monde spirituel occupe une place importante dans ce roman, ce qui est également un des traits de cette littérature africaine. Si une bonne partie de cela nous échappe, on sent que cela apporte du relief à l'intrigue, ouvrant réellement sur une autre dimension, qui permet aux personnages de mieux se développer, de gagner en consistance. On voit bien, d'ailleurs, que ceux qui ont accès à la dimension spirituelle ont plus de facilité à s'élever au-delà du monde bassement politique. 

Et cependant, la politique est un des éléments centraux de cette oeuvre d'anticipation. Au fil du roman, on comprend à demi-mot comment s'est formé ce Katiopa unifié, ce qui préexistait, et les challenges qu'il doit donc affronter, en tant que pays à la construction récente. Il me manque certainement tout un tas de références culturelles et géopolitiques, mais on sent bien que ce schéma politique imaginé par Leonora Miano n'est pas dû au hasard, et a un fort ancrage dans l'histoire africaine récente. Tout ce référentiel en toile de fond apporte une réelle stimulation intellectuelle, et cela m'a captivée. 

Surtout, ce qui fait de ce roman une oeuvre maîtresse à mes yeux, c'est le traitement de l'amour. Plus même que cela, c'est une réelle passion dévorante qui s'empare de Boya et d'Ilunga, et pourtant une passion maîtrisée, qui prend tout le temps nécessaire pour s'exprimer. Et avec cette patience qu'ils lui accordent, il gagne réellement en puissance. Cet amour passionnel, irrépressible, qui les habite nous emplit d'une certaine grâce, qui nous habite tout le temps de la lecture. Un point capital à souligner, également, c'est le traitement du désir et du plaisir féminin, qui prend le dessus sur celui de l'homme, dans cette histoire d'amour, et dans ce roman. En effet, Boya a une belle connaissance d'elle-même et de ce que son corps apprécie, mais elle va pourtant en découvrir davantage et se laisser encore plus aller au plaisir entre les bras d'Ilunga, pour qui la jouissance de sa compagne passe avant sa propre envie. C'est la première fois que je lis un roman où le désir féminin est si bien exploré, caressé, et cela fait un bien fou à lire, en tant que lectrice et en tant que femme. On se laisse aisément transporter sous les effluves de ces transports amoureux où rien n'est tabou, tout n'est finalement qu'une question d'écoute de soi-même et de l'autre. Ce texte rentrera d'ailleurs, je le pense, dans mon panthéon des scènes d'amour littéraires (et rejoint donc Boussole de Mathias Enard, dont j'avais parlé par ici). 

Enfin, je dois vous parler de la fin du roman, chose que je fais rarement. Mais rassurez-vous, je ne rentre pas dans les détails de l'intrigue ! En arrivant à la dernière page, j'ai été réellement surprise de cette fin qui, disons-le, laisse les choses très ouvertes. Au début, cela m'a franchement déstabilisée, j'étais déçue. Et puis, j'ai senti que c'est une de ces fins qui demande du temps de réflexion pour être mieux appréhendée. Effectivement, avec un peu plus de recul, j'en comprends maintenant le sens. Dans la suite logique de tout le reste du roman, finalement, ce final a montré les différentes directions possibles, et à nous, lecteurs, de nous élever, de tenter d'atteindre une autre dimension de lecture, afin d'entrevoir les choses sous un œil plus avisé. Si c'est déstabilisant, je trouve en fait cela parfaitement cohérent avec l'esprit de ce roman qui demande un minimum de lâcher prise pour mieux en apprécier tous ses aspects.

C'est donc un très beau moment de lecture que m'a offert ce roman de la francophonie. En se plongeant dans cette littérature africaine, on a l'impression de pénétrer un nouveau continent littéraire sur la pointe des pieds, sans avoir forcément toutes les clés nécessaires, mais avide d'exploration. Un gros coup de coeur donc que ce roman, porté par la plume de Leonora Miano, aussi poétique, délicate et sensuelle que sa voix (entendue dans une interview récente que je vous recommande). 

Si vous souhaitez à votre tour découvrir cette prose, vous pouvez allez acheter le roman en quelques clics, à partir de l'image ci-dessous ! Je remercie NetGalley et les éditions Grasset pour cette belle lecture. 

        

4 commentaires:

  1. Pas du tout d'accord ! on retrouve l'Afrique cliché du mâle dominateur qui finalement vit seul , ce qui engendre des femmes seules et fortes comment on les connait en Afrique ou elles font tourner le pays. Des blancs réfugiés en Afrique... on comprend bien le clin d'oeil mais ce n'est pas suffisant pour rendre ce livre intéressant , j'ai laissé tomber ...

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    1. En avançant dans le récit, on comprend que la situation de cet homme qui vit seul et qui héberge malgré tout des "favorites" (je ne me souviens plus du terme exact employé, cette situation donc, est "subie", de même que son mariage qui n'est que de façade, mais pas par son fait.
      Certes cliché au premier abord, mais en fait il faut aller au-delà de ce cliché, et voir que cet homme est bien plus acquis à la cause féminine qu'on ne le croit.

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  2. D'autre part un roman ne peut ignorer le contexte politique africain d’aujourd’hui , alors que la population mondiale régresse et va régresser partout, seul le continent africain fait 10 enfants par femme ce qui amènera non pas à un pays uchronique idyllique.... mais à un enfer ! l'auteure devrait en tenir compte !

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    1. Le roman se fait uchronie idyllique (ce qui, d'après mes maigres connaissances, fait écho à un rêve espéré par certains dirigeants africains il y a quelques décennies), mais c'est justement le moyen de faire écho à la situation actuelle de l'Afrique !
      Cela permet de mener une réflexion intéressante, mais de toute manière on sait que 1) cette utopie est irréalisable, et 2) est-elle seulement vraiment enviable ?

      C'est la force de ce roman je trouve : il n'utilise pas le contexte politique africain actuel, mais en crée un nouveau, et pourtant celui-ci résonne particulièrement en creux.

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