mardi 6 avril 2021

Effacer les hommes, Jean-Christophe Tixier

Pour vous présenter ma chronique du jour, je voulais pousser un petit coup de gueule. Rassurez-vous, je n'ai rien contre le livre présenté, ni contre son auteur, bien au contraire. Jean-Christophe Tixier est un auteur que je connais déjà depuis quelques années pour ses parutions en jeunesse, et dont je vous avais parlé il y a un an. L'an dernier, avec la parution de Les mal-aimés qui a connu un certain succès, il est passé de l'autre côté du rideau, il est devenu un auteur pour adulte. Et c'est ainsi que cet auteur, ayant plus d'une trentaine de romans à son actif, est présenté comme l'auteur de... deux romans ! Car oui, ses parutions jeunesse sont complètement invisibilisées par les éditions Albin Michel qui avaient introduit Les mal-aimés comme son premier roman ! Voilà pour ce coup de gueule, qui revient à poser la question : quand cessera-t-on de considérer la littérature jeunesse comme un sous-genre ??!

Pour en revenir à nos moutons, je n'ai toujours pas lu Les mal-aimés, mais je me suis hâtée de découvrir le dernier roman de l'auteur, Effacer les hommes, qui par ses thèmes et son ambiance sombre, me semblait suffisamment proche du précédent pour me faire une bonne idée. Nous sommes dans les années 1960, dans une campagne aveyronnaise reculée. Un ingénieur de la ville a atterri là, au beau milieu d'une cellule familiale loin d'être traditionnelle. Cet homme, en charge de vidanger le lac artificiel surplombant le barrage, est hébergé dans une auberge principalement féminine. Victoire en est la propriétaire, une femme d'une cinquantaine d'années, mais déjà mourante. Veuve très tôt, cette femme a élevé son neveu et sa nièce, Ange et Eve. Les voilà rejoints par Sœur Marie-Clément-Pierre, la belle-fille de Victoire, à peine plus jeune qu'elle en réalité. Trois femmes aux destins sombres se côtoient entre ces murs, trois femmes qui tentent de trouver leur place dans un univers dirigé par les hommes. En effet, si mai 68 n'arrivera  à Paris que peu de temps après ces événements, la campagne du Sud de la France est encore bien masculine, et Victoire, cette femme ayant vécu principalement seule, y est regardée de travers. 

Jean-Christophe Tixier signe ici une chronique sociale très réussie, à travers ces femmes qui, chacune, cherchent leur juste place. Victoire, alitée, se remémore son arrivée dans la région, alors que le barrage n'était qu'un projet. Ce lac qui se vide a englouti une partie de son passé, il est donc naturel que les souvenirs remontent à la surface. Sa nièce Eve, qui entre tout juste dans l'âge adulte, s'interroge sur son avenir. Doit-elle rester à l'auberge, et ainsi assurer la sécurité d'Ange, son frère retardé mental, ou bien doit-elle répondre à l'appel de la liberté et tout plaquer, même si elle n'est pas certaine d'en avoir le courage ? Et surtout, par quel moyen pourrait-elle partir ? Entre ces deux femmes aux caractères affirmés, Sœur Marie cherche sa place, elle qui est si effacée et pourtant si corpulente. Elle aussi lutte avec des souvenirs douloureux, au milieu desquels elle cherche la vérité. 

Impossible de ne pas se laisser toucher par ces destins de femmes, féministes avant l'heure, qui veulent exister sans devoir s'appuyer sur les hommes. En ouvrant ce roman, ne vous attendez pas à vivre une lecture à cent à l'heure, ce n'est pas un page-turner que vous tenez là. C'est le récit d'une campagne dans les années 60, dans un temps long, où, pourtant, le lac qui se vide vient inlassablement rythmer le quotidien des personnages, faisant monter entre eux les tensions. J'ai évidemment été touchée par le personnage d'Eve, mais j'ai trouvé aussi beaucoup d'émotion dans les passages accordés à Victoire, et à son corps sur le déclin. L'auteur ne nous épargne rien de ses douleurs, de l'odeur nauséabonde qui se dégage de la chambre de la malade. Il nous met face à la réalité d'un corps en fin de vie dans des termes simples, presque crus, sans jamais tomber dans le pathos. Dans ce roman, tout est juste, à sa place, les phrases vont au plus direct, nous ouvrant de belles pistes de réflexions, nous permettant de nous pencher de près sur ces petites vies, oubliées. 

A vrai dire, j'ai eu du mal à démarrer cette lecture, notamment à cause de cette narration volontairement lente. Je dois également avouer que je n'ai pas aimé la fin (je serais ravie d'en discuter avec ceux qui auraient terminé le roman). Et pourtant, une fois lancée dans ma lecture, ces personnages ont vécu à mes côtés pendant un petit moment, j'ai eu du mal à les laisser s'échapper, et je garde donc finalement une très bonne impression de ce roman. Suffisamment, en tous cas, pour vous en parler, et vous conseiller de l'acheter, en quelques clics à partir de l'image ci-dessous, ou chez votre libraire préféré. 



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