jeudi 7 avril 2016

Mathias Enard et sa Boussole

Noël est passé depuis un moment certes, mais je voudrais revenir sur quelque chose que j'ai trouvé au pied du sapin... J'avais déjà tellement de choses à lire, ce qui peut expliquer pourquoi j'en ai un peu repoussé la lecture. Livre d'un auteur dont je suis l'actualité depuis peu, et dans lequel j'avais réellement hâte de me plonger ! Le titre aidant, vous avez deviné de quel livre je parle... C'est bien sûr Boussole, de Mathias Enard !

J'ai retardé le moment de vous en parler, car je voulais attendre une date, qui était entourée en très gros dans mon agenda... Oui, car Mathias Enard était présent mardi soir, à la médiathèque de Poitiers !!! Imaginez mon excitation quand je l'ai appris... Pire qu'une ado devant une rockstar, moi devant Mathias Enard ! Les yeux brillants, la voix entrecoupée d'émotion... Je lui ai parlé ! Il a dédicacé mon livre !



Bref, je vais arrêter là avec mes délires fanatiques. Pour remettre ça dans un contexte précis, Mathias Enard était présent dans le cadre des Editeuriales, festival organisé par la médiathèque de Poitiers, chaque année autour d'un éditeur. Cette année, donc, c'était Actes Sud. Quelques auteurs viennent donc pour un cycle de rencontres d'une dizaine de jours, chaque auteur étant accompagné de son éditeur. Cette fois-ci, la rencontre était animée par Philippe-Jean Catinchi, journaliste au Monde. Cet homme s'est révélé être très intéressant, même si j'ai trouvé qu'il parlait un peu trop, qu'il ne laissait pas suffisamment la parole à ceux qu'on était venus écouter, à savoir un auteur et un éditeur.


Ce soir-là, donc nous étions venus (en nombre) pour écouter Mathias Enard et son éditeur, Bertrand Py. Puisque l'on parle d'éditeurs, je vais d'abord revenir à une idée intéressante avancée par Bertrand Py. Selon lui, la question que doit se poser tout auteur quand il écrit, et tout éditeur quand il sélectionne les manuscrits à publier, c'est de savoir en quoi ce livre transforme et agrandit l'art du roman. Projet ambitieux certes, mais beau, n'est-il pas ? Mais Actes Sud est sans conteste une maison d'édition ambitieuse, qui produit des ouvrages d'une grande qualité. D'ailleurs, pour son premier roman, Mathias Enard (La Perfection du tir) disait qu'il n'avait pas hésité une seule seconde : la meilleure maison à même de l'accueillir, c'était Actes Sud (qui publiait déjà nombre d'auteurs orientaux, pépites à découvrir paraît-il).

Pour en revenir aux propos tenus par Mathias Enard (car c'est ça qui vous intéresse le plus, j'imagine), il a abordé plusieurs points. D'abord, comme c'est souvent le cas dans les rencontres d'auteurs, son travail d'écriture. Il raconte donc imaginer pour chacun de ses romans un dispositif précis d'écriture, et en réalité il ne commence à écrire le roman que quand il a en tête la forme et le rythme adéquat pour ce livre particulier. Ainsi, il considère Boussole comme une contraction des 1001 nuits, mais à l'envers. Car en effet, le roman se déroule sur une seule nuit d'insomnie du héros. 

Mathias Enard s'est également expliqué sur la place de l'Orient dans son oeuvre (tous ses romans en parlent, de près ou de loin). Il observe donc une fascination esthétique et philosophique pour l'Orient, qui aurait commencé avec Napoléon. Mais avec le XXème siècle, cela change radicalement : le peuple européen dresse une barrière mentale entre lui et l'Orient. Et cette fascination, on la retrouve très clairement dans Boussole. Moi qui ne me suis jamais particulièrement intéressée à l'Orient, je dois dire qu'après avoir lu ce roman, je retiens que les relations entre Orient et Occident ont en fait toujours existé, et qu'elles ne demandent qu'à être prolongées, dans la paix. Ces propos résonnent particulièrement fort dans ces années où, justement, chacun s'interroge sur l'Orient, d'une façon ou d'une autre. Or, cette façon d'aborder la question de façon pacifique et philosophique nous aide à remettre bien des choses en perspective, ce qui me semble capital. 



Boussole, puisque c'est de ça que je voulais parler depuis le début, je crois qu'on peut dire que c'est un de mes coups de coeur de la rentrée littéraire 2015. Même si je n'avais encore jamais lu de roman de Mathias Enard (mon premier remonte à il y a peu), je le connaissais un peu par ses activités dans le collectif Inculte dont j'ai déjà parlé par ailleurs. J'avais donc confiance en sa capacité, comme dit plus haut, à "agrandir l'art du roman". J'avais donc réellement envie qu'un tel auteur ait le prix Goncourt. Deux mois plus tard, bingo ! J'étais donc obligée de me plonger dans son oeuvre, après avoir vu mon souhait se réaliser ! 

Alors un prix Goncourt, en librairie, ça se vend un peu comme des petits pains ! Mais attention. Boussole ne se mange pas comme un petit pain... Lors de mon stage en librairie en début d'année, j'ai entendu beaucoup de retours de clients déçus, qui trouvaient ça bien trop complexe, trop érudit, bref, pas à la portée de tout le monde. Et ils n'ont pas tout à fait tort... Le personnage principal de ce roman, Franz, est un universitaire, qui étudie les rapports à l'Orient dans la musique occidentale. Alors forcément, comme c'est lui le narrateur, il parle comme un universitaire, et j'avoue qu'il faut parfois s'accrocher. De ce point de vue-là, oui, Boussole est quelque peu difficile à lire. Mais la question de l'érudition ? Elle est savoureuse dans ce roman ! Mathias Enard n'est pas de ces auteurs qui estiment que tout lecteur connait tous les penseurs, écrivains, et même ici musiciens du monde. Non, il veut simplement nous faire partager ses humbles (ou pas) connaissances. Alors oui, en ouvrant ce livre, je ne connaissais pas la moitié des références citées, ou alors seulement de nom pour la plupart. Mais il a la bonté de nous expliquer pour chacun qui ils sont et ce qu'ils ont fait. Alors l'érudition, c'est nous qui l'avons à la fin de la lecture ! C'est un roman dont on ressort un peu intello ! 

Ce roman, donc, parle de l'Orient. Mais plus que ça, c'est un voyage en Orient. On voyage en Syrie, en Iran, en Turquie même, on dort dans des ruines au beau milieu du désert... Mathias Enard a ce talent de vous faire vivre réellement ce que vous lisez. Et l'écriture, certes un peu difficile, est en fait tellement belle ! qu'elle vous fait entrevoir sans peine la beauté de ces paysages orientaux. Je me risque même à avancer quelque chose d'audacieux sur cette écriture, mais attention, SPOILER ! (je suis désolée, mais je ne peux m'empêcher d'écrire cela, car j'en ai rêvé de cette scène !). 
Vers la fin du roman, se trouve, en trois pages, ce que je considère comme la plus belle scène d'amour que j'aie jamais lue. Oui, rien que ça. C'est parce que la fusion des corps est racontée avec une telle délicatesse, dans la jouissance, mais la jouissance de la langue avant tout, la jouissance de l'écriture, et pour nous de la lecture. Du sexe (car après tout c'est ce dont il est question), mais raconté comme on pourrait décrire une oeuvre d'art. Du jamais vu pour moi ! 

Bref, même si ce roman peut faire peur à certains, c'est un de mes coups de coeur, et je ne pouvais pas ne pas en parler ! Alors pour ceux qui, comme quoi, sont fans de Mathias Enard, voici quelques pistes à suivre, un peu plus originales que ses romans : 
  • une playlist "Boussole" sur deezer (que j'écoute alors même que j'écris cet article)
  • une revue culinaire, 180°, à suivre car Mathias Enard a annoncé y tenir prochainement une chronique régulière (sur la cuisine, l'homme est fin gourmet semblerait-il !)
  • et pour les gourmands, une adresse où s'arrêter si vous êtes de passage à Barcelone : car en plus d'être auteur, il tient un restaurant libanais à Barcelone, le Karakala




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