vendredi 7 août 2020

Alma, Le vent se lève, Timothée de Fombelle

Après plusieurs semaines d'absence, je reviens par ici pour vous parler d'un de mes auteurs chouchous, Timothée de Fombelle ! La parution de son dernier roman, Alma, Le vent se lève, a été très attendue (repoussée pour cause de confinement !) et a fait beaucoup parler, pas toujours en bien... Maintenant que je l'ai lu à mon tour, j'aimerais revenir un peu sur tout ce qui s'est dit. 

Mais avant tout, laissez-moi vous parler rapidement du roman en lui-même, c'est quand même d'abord à ça que sert ce blog ! Ce roman est le premier tome d'une trilogie autour de l'esclavage et du commerce triangulaire. On y suit Alma, une jeune fille africaine de l'ethnie oko, vivant une enfance pleine de bonheur, en autarcie dans une petite vallée, avec sa famille. Elle qui ne connait rien du monde en dehors de sa vallée, va en découvrir la cruauté alors que son frère s'échappe, et qu'elle quitte elle aussi ce petit paradis pour partir à sa recherche. Elle découvre alors que des hommes en capturent d'autres pour les vendre à des navires étrangers qui partent à l'autre bout du monde. Elle découvre que tous les hommes ne vivent pas en harmonie comme elle le faisait avec ses parents et ses deux frères. Elle découvre qu'elle-même n'est pas tout à fait ce qu'elle croyait, qu'elle est plus forte qu'elle ne l'aurait jamais soupçonné. D'autres personnages, européens notamment, viennent se greffer à son histoire, et j'imagine que les deux autres tomes de cette trilogie nous en apprendront plus sur eux. 

Au début de ma lecture, je n'ai pas tout à fait retrouvé la magie qui opérait dans les autres romans de Timothée de Fombelle, mais peut-être est-ce aussi dû aux critiques que j'ai pu en lire. Ceci dit, ce sujet nécessitait forcément un ton plus grave que de simples romans d'aventures, ce qui explique aussi ce changement de ton. Quoiqu'il en soit, c'est tout de même un roman magnifique, qui laisse présager de bien des frissons - de peur comme de plaisir - à la lecture des tomes suivants. Au fil des pages, on retrouve finalement toute la poésie contenue dans la plume de Fombelle, et je pense notamment à deux chapitres qui nous font explorer la culture oko, que j'ai trouvés d'une beauté à couper le souffle. En revanche, les illustrations de François Place, habituellement très vantées, m'ont laissée de marbre. Je ne les ai pas trouvées très soignées, et elles n'apportent pas grand chose au roman, à mon sens. Les illustrations de couverture, avec ce beau vert, auraient pu suffire. 



Malgré cette beauté, malgré la renommée (et peut-être d'ailleurs à cause d'elle) de son auteur, la publication d'Alma a généré de nombreuses critiques. Timothée de Fombelle a été interviewé par un journaliste du Point, qui me paraît vraiment chercher la polémique, à propos du refus de traduction par son éditeur anglophone habituel. En effet, Walker Books ne publiera pas Alma aux Etats-Unis, où les lecteurs n'acceptent pas qu'un auteur blanc s'approprie un pan si tragique de l'histoire noire. La culture du ownvoice y est très répandue. Je n'en donnerais qu'une définition rapide, d'autres en parlent bien mieux que moi. En gros, l'idée d'un livre ownvoice, c'est qu'y sont mis en avant des personnages qui appartiennent à une minorité (minorité sociale, raciale, sexuelle, etc), et l'auteur de ce livre est lui-même issu de la minorité concernée. Bien sûr, puisqu'il vit au quotidien ce dont il parle, il sera le mieux placé pour le faire avec justesse. Pour en revenir à l'interview de Timothée de Fombelle qui a fait couler tant d'encre : il y explique qu'il a continué à écrire son roman malgré le refus de publication de Walker Books, simplement il s'est encore davantage appliqué à être le plus juste possible dans le traitement des personnages. 

Parmi les critiques les plus virulentes, certains se sont exprimés en prétendant qu'aucun auteur blanc ne devrait plus écrire sur l'esclavage, afin de laisser la parole aux concernés. Sur ce dernier point, je suis d'accord : je pense en effet qu'il est important, quel que soit le sujet, de pouvoir lire des romans représentant une diversité, écrits par les concernés. Toni Morrison, pour ne citer qu'elle, est un excellent exemple de ce que peut apporter, dans un roman sur les noirs, le fait d'être soi-même noir. Elle connait réellement les sentiments de ceux sur qui elle écrit, puisqu'elle les a sans nul doute expérimentés directement, ressenti dans sa peau. Alors forcément, elle connaît son sujet. Pour autant, est-ce que cela signifie qu'un auteur blanc, qui prendrait vraiment le temps de se renseigner intimement, ne pourrait pas lui aussi écrire sur un sujet similaire ? Certains disent que non, un blanc ne peut pas écrire du point de vue des noirs. Je pense pour ma part que c'est justement ce qui fait la force de la littérature, pouvoir incarner un personnage différent de sa propre origine sociale ou identité sexuelle, etc. Un auteur peut, je le pense, incarner n'importe quel personnage, à condition d'accorder le plus grand sérieux à son travail de documentation. J'oserais même dire que selon moi, être trop proche d'un sujet peut entraver la qualité littéraire d'un ouvrage. J'ai déjà eu l'occasion de lire un ouvrage, écrit par un journaliste, sur la mort d'un de ses proches, notamment, parce que le sujet me concernait, et je pensais donc en être vraiment remuée. Eh bien finalement, l'auteur n'avait pas ajouté à son oeuvre le recul nécessaire à en faire un beau roman. Lire de la littérature ownvoice, pourquoi pas donc, mais je ne pense pas que l'édition doive s'y cantonner. C'est certes intéressant, mais ça n'est pas toujours un gage de qualité. J'ai également compris récemment que, ce qui énerve les critiques, c'est le fait que Fombelle puisse voler la vedette à un auteur noir qui écrirait un roman sur le même sujet, tout aussi bon, car les éditeurs lui refuseraient la publication sous prétexte que le sujet est déjà pris. Je suis certainement très naïve, mais j'ose croire que les éditeurs seraient capables de reconnaître l'intérêt de voir la publication simultanée de ces deux types de romans. 

J'ai beaucoup pu lire que Timothée de Fombelle "criait à la censure" et "pleurnichait" sur cette injustice, raison pour laquelle beaucoup l'ont méprisé suite à cette interview. Et en fait c'est ça qui m'a le plus énervée je crois : l'impression de critiques injustifiées de la part de personnes qui m'ont semblé surinterpréter les choses, et surtout, ne pas avoir lu le roman. Ce que j'ai vu, c'est un auteur qui exprimait certes sa déception, mais surtout, qui répondait posément aux questions d'un journaliste bien plus cynique que lui. En effet, Timothée de Fombelle est entre autres connu pour son caractère très mesuré et posé. Et il n'a, me semble-t-il, pas tenu de propos excessifs ici. Il y a des auteurs injustes envers certaines minorités, c'est vrai. Je ne crois pas que ce soit le cas de Timothée de Fombelle. Une autre critique qui lui a été adressée, a été de faire de l'esclavage une "aventure". Je ne sais pas si ceux qui emploient ces termes ont lu le roman, mais si c'est le cas, nous n'y avons pas lu la même chose. Le caractère aventurier, je l'ai vu chez Joseph, jeune français embarqué clandestinement sur La Douce Amélie, avec un but secret. A ses yeux, ce voyage a en effet quelque chose de l'aventure, mais c'est avant qu'il ne comprenne ce qui va réellement se tramer sur ce navire. La jeune Alma, quant à elle, n'est en aucun cas partie "à l'aventure". De son côté, il y a quelque chose du récit initiatique, puisque c'est un personnage qui quitte son lieu de naissance et qui va parcourir le continent africain en quête de son frère, et de vérité. Mais à aucun moment je n'ai vu son récit traité comme une simple aventure romanesque, le ton employé est d'ailleurs bien plus grave que cela, comme je l'ai déjà évoqué.

Voilà pour ma modeste contribution à ce débat qui agite le Twitter littéraire. J'avais besoin de vous faire part de ces réflexions, certes un peu en bazar, mais qui m'ont un peu rongées pendant ma lecture. En dehors de cela, je n'ai pu lire que des avis élogieux de la part de ceux qui ont vraiment lu ce roman pour lui-même, et cela prouve bien que le talent de Timothée de Fombelle n'est plus à démontrer, et qu'il a l'étoffe du grand auteur qui, justement, est capable de s'emparer de n'importe quel sujet sans le détourner de sa gravité. 

Je ne peux que vous inviter à vous lancer dans la lecture de cette trilogie, dont le deuxième tome est annoncé pour début 2021. Si ce n'est déjà fait, vous pouvez vous le procurer en quelques clics à partir de l'image ci-dessous ! Ou dans votre librairie préférée... 


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