lundi 2 mai 2016

Petite table, sois mise ! Anne Serre

Changement de genre total, avec une lecture pour le moins surprenante... Après avoir assisté à une rencontre avec Anne Serre en février dernier, j'ai acheté deux de ces livres, et en voici un premier ! J'avoue tout de même que j'ai longtemps hésité, non seulement à l'acheter, mais aussi à le lire ! Je vous laisse lire la première page, et vous comprendrez certainement pourquoi j'ai pu être déboussolée...


Mais j'ai été convaincue de l'acheter, et de le lire, par ce qu'Anne Serre elle-même en avait dit lorsque nous l'avions rencontrée. Elle avait avoué avoir écrit ce texte avec beaucoup de naïveté : elle s'est laissée guider par la joie de l'écriture, et c'est lorsqu'elle l'a proposé à des éditeurs qu'elle s'est rendu compte du caractère tendancieux que cela pouvait avoir... Mais heureusement, Verdier a accepté de la publier. 

Ce caractère tendancieux, il est en réalité présent uniquement dans la première partie du livre. Cette petite fille qui raconte son enfance, vit en fait dans une famille aux habitudes sexuelles... familiales dirons-nous. Entre une mère qui se promène nue, qui demande à ses filles de la caresser, et qui caresse elle aussi les filles, un père qui a l'habitude de s'enfermer régulièrement dans son bureau avec une de ses trois filles, et des visiteurs qui sont initiés à ces pratiques et invités à y prendre part, cette famille a sans conteste des moeurs condamnables. Et pourtant, rien dans la narration ne vient condamner ces habitudes. Au contraire, on ressent dans les propos de la jeune narratrice une joie incontestable à vivre tous ces plaisirs orgiaques. La petite fille raconte même des passages de son enfance où, pour plusieurs raisons, sa famille a dû cesser toutes ces pratiques, et elle les considère comme les moments les plus malheureux de son enfance. Et devant une telle joie dans l'écriture, eh bien on se laisse embarquer, même si c'est érotique ! 

Mais dans les deux dernières parties, fini ce plaisir familial. La narratrice a grandi, et s'est éloignée de sa famille. Elle réalise alors que si, enfant, elle puisait son bonheur dans le plaisir sexuel, cela a peut-être tout de même cassé quelque chose en elle. Elle vit alors longtemps seule, et on sent qu'une réflexion s'opère en elle sur son corps. Et pourtant, cette remise en question n'enlève rien au plaisir de la première partie, resté intact dans sa mémoire, et dont on garde en tête la joie qui inondait toutes ces scènes. Mais il y a cette table au-dessus de laquelle sa mère se penchait, sombre comme un lac, auquel la narratrice cherche à trouver une signification. 



Ce livre n'est pas de ceux qui délivre les clés de sa compréhension au lecteur. De même que la narratrice tente de démêler doucement les méandres de sa vie, nous tentons de démêler, sous toutes ces informations, le sens de cette histoire. Ca n'est pas un texte qui cherche à condamner les relations incestueuses, non. Mais il n'en fait pas non plus l'apologie. Le sens de ce texte passe certainement par autre chose : le plaisir de la langue, qui serait mis en scène par ces plaisirs physiques ? Peut-être. En tous cas, Anne Serre parlait elle-même de la liberté de l'écriture qui devient orgie de la langue. C'est peut-être simplement ça qu'elle voulait nous faire toucher du doigt... 



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