mercredi 30 novembre 2016

Chanson douce, Leïla Slimani

En faisant cet article, je réalise que... ben j'ai vraiment du retard dans mes chroniques ! En effet, ce roman, je l'ai commencé le jeudi 3 novembre à 12h50. Autrement dit, dix minutes avant l'annonce du prix Goncourt. Véridique ! En fait, nous avions pris les paris avec un de mes collèges : lui avait prédit que Catherine Cusset décrocherait le Goncourt, avec L'autre qu'on adorait. Pour ma part, j'avais misé sur Leïla Slimani et sa Chanson douce, même si je ne l'avais pas lu... Mais bon, je me suis donc dit que c'était bien beau de faire des pronostics comme ça, mais il fallait quand même que je lise le roman en question, histoire de savoir de quoi je parlais ! Et j'ai été bien avisée, puisque le roman a effectivement décroché le prix Goncourt !

Venons-en donc aux faits ! Ce roman raconte l'histoire d'un couple de parisiens, Paul et Myriam, parents de deux enfants, Mila et Adam. Même si ces quatre-là ont tout d'une famille heureuse, les parents ont chacun leurs ambitions professionnelles. Paul travaille dans un studio de musique où elle ne compte pas ses heures, tandis que Myriam, après la naissance de son fils, rêve de reprendre un travail d'avocate. Aussi, lorsque l'occasion se présente, elle ne la laissera pas passer. Le couple décide donc de prendre une nourrice pour s'occuper des enfants pendant qu'ils se consacrent chacun à des professions prenantes. Après plusieurs entretiens, ils tiennent la perle rare en la personne de Louise, et ils n'hésitent pas à s'en vanter : que de bonheur d'être tombés sur une femme aussi parfaite. Elle est adorable avec les enfants, sa patience pour leurs jeux comme leurs pleurs est infinie, et elle se charge même d'embellir l'intérieur de Paul et Myriam. La petite famille et la nourrice créent ainsi des liens de plus en plus forts. Seulement... tout ne peut pas être aussi rose ! Et rose, la vie personnelle de Louise est loin de l'être. Hormis son travail, sa vie est un échec total. Alors quand Adam, le petit dernier de la famille, grandit et approche de l'âge d'entrée à l'école, elle se désole car elle réalise qu'elle aura beaucoup moins de travail. Son état psychologique en pâtit, et elle finira par commettre l'irréparable : s'en prendre aux enfants, avec une violence inqualifiable.

Vous avez certainement l'impression que je vous gâche la surprise en dévoilant cela, mais en réalité pas du tout. Non, parce que le roman s'ouvre en fait sur cette scène horrible, où Myriam rentre plus tôt que prévu chez elle et découvre le corps inanimé de ses deux enfants, l'une étant entre la vie et la mort, l'autre ayant déjà succombé. Cette scène est réellement glaçante, mais dès lors qu'on l'a lue, il est difficile de lâcher le roman, car on veut comprendre comment la vie de Myriam, qui semblait brillante, a pu virer à ce point au cauchemar. Leïla Slimani nous fait donc revenir au début du basculement, le moment où le couple décide de prendre une nourrice. On remonte le fil de l'histoire à partir de ce point précis, comme pourraient le faire les enquêteurs cherchant à éclaircir ce meurtre. Puis les événements se déroulent, paisiblement. A tel point qu'on pourrait presque en oublier que toute cette histoire se termine finalement horriblement mal. Mais certains chapitres nous rappellent à la dure réalité, car ils ne se concentrent pas sur l'histoire de cette famille agrandie par la nourrice : ils se centrent sur le point de vue de personnages extérieurs, mais pas tant que ça, puisqu'on comprend en fait qu'ils sont appelés à témoigner dans l'enquête.


Leïla Slimani fait preuve d'une précision chirurgicale dans l'écriture, ce qui sert parfaitement ce roman glaçant. Rien n'est laissé au hasard, toutes les étapes du cheminement psychologique de Louise sont analysées avec soin. L'auteur ne s'attarde à aucun moment sur les émotions ressenties par les personnages. On voit leurs états d'esprit décortiqués, mais à aucun moment on n'entre véritablement dans leurs coeurs. Autrement dit, on pénètre le temple de leurs pensées, mais pas de leurs sentiments. A première vue, on pourrait le regretter, mais là encore, cela sert parfaitement le projet romanesque : finalement c'est une enquête qui est retracée dans ce livre, pas le drame en lui-même ! De tout cela, résulte un roman véritablement glaçant et dérangeant, et c'est ce qui en fait tout le génie.

J'apporte cependant quelques nuances à ces propos. Premièrement, parents attention ! J'ai pu lire ce roman sans être personnellement troublée parce que je n'ai pas d'enfants. Mais mes collègues ayant des enfants en bas âge qui l'ont commencé n'ont pas pu aller au-delà des premières page : cela aurait été trop éprouvant pour eux. Deuxièmement, dire que j'ai aimé ce roman serait mentir. La seule chose que je peux dire, c'est qu'il m'a profondément marquée. C'est une lecture dont on ne sort pas indemne. Il nous reste une impression de malaise au creux de l'estomac. Loin d'une "chanson douce" donc.

Selon moi, en revanche, l'obtention du Goncourt est discutable. Certes, de ce que j'ai lu jusque là de la rentrée littéraire, c'est celui qui m'a le plus marquée, mais il ne m'a pas autant séduite que les précédents Goncourt. A vrai dire, je ne lui ai pas trouvé le relief nécessaire pour mériter une telle distinction.

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