Esprit d'hiver, Laura Kasischke

Esprit d'hiver, c'est un livre qu'on me recommande depuis longtemps. On ? Une ancienne collègue libraire, des amies de la fac, une amie blogueuse notamment... Alors l'autre jour, tandis que j'errais sans idée de lecture entre les rayons de la bibliothèque, ce petit roman m'est apparu et s'est imposé comme ma prochaine lecture !

Dans ce roman de Laura Kasischke, Holly se réveille le matin de Noël avec la certitude étrange que "quelque chose les a suivis de Russie". Holly, c'est une femme américaine d'âge moyen. Ne pouvant pas avoir d'enfants, elle et son mari ont adopté une petite fille russe, il y a plusieurs années. Cette petite fille, Tatiana, est maintenant une ravissante adolescente. Alors ce matin de Noël, tout devrait être formidable pour cette famille unie et heureuse. Mère et fille devraient préparer la maison ensemble, pour le réveillon, tandis que le père irait chercher ses parents à l'aéroport. Mais cette journée commence sur une note étrange pour Holly. Une idée que quelque chose est venu avec eux de Russie. Elle ne sait pas d'où lui vient cette idée, ni ce qu'elle peut bien signifier. Mais elle reviendra s'insinuer en elle, telle un leïtmotiv, tout au long de la journée. Et pourtant, Holly est décidée à passer un joyeux Noël avec toute sa petite famille. Mais quand elle se lève, en lieu et place de sa fille douce et attentionnée, elle ne trouve en Tatiana qu'une ado rebelle qui reproche à sa mère de s'être levée si tard un matin de Noël, et qui ne lèvera pas le petit doigt de la journée pour l'aider. Au fil de ce roman, et de cette journée, Holly, tout en essayant de faire avancer ses préparatifs, pense à des tas de choses. Elle se remémore le processus qui les avait menés, elle et son mari, à l'adoption de Tatiana. Elle revient également sur la famille dont elle issue, une famille où toutes les femmes sont tombées malades. Elle réfléchit aux invités qu'elle va recevoir pour ce repas de Noël : ses beaux-parents, avec qui elle ne s'entend visiblement pas très bien, de même que sa belle-famille au complet, semble-t-il. Mais aussi ses deux grandes amies, et leur fille.

Au fur et à mesure que se déroule la journée de Holly, l'auteur nous fait entrer de plus en plus en profondeur dans la tête de son personnage. La narration est extrêmement précise, et on découvre les moindres détails de ce que pense et perçoit Holly. En fait, cette façon d'écrire me fait un peu penser au "flux de conscience", à la Virginia Woolf : les pensées s'enchaînent sur la page, sans qu'on ne saisisse le cheminement logique du passage d'une pensée à une autre, dans le désordre, mais dans la précision toujours. Et c'est exactement ce qui se passe ici. Si bien que, comme le roman avance, on commence à se demander s'il n'y a pas quelque chose qui clocherait chez Holly. Pourtant, cette journée de Noël semble tout à fait ordinaire, avec les préparatifs de chacun, et pourquoi pas, une ado qui fait la tête à sa mère. Schéma qui pourrait se voir reproduit dans n'importe quelle famille. Mais petit à petit, on ne peut s'empêcher de trouver des choses bizarres dans le déroulement de cette journée. Holly semble très étourdie, elle oublie ce qu'elle faisait l'instant d'avant, ou en tous cas ce qu'elle pensait faire. Ses comportements sont loin d'être ceux de la parfaite ménagère, ce qu'on croit qu'elle est au début du roman. Lorsque le rôti tombe par terre, elle ne nettoie pas le sang sur le carrelage, par choix. Mais on a du mal à comprendre ce choix. Lorsque sa fille casse un verre, elle ne réagit pas tout de suite, et s'évertue à marcher pieds nus à l'endroit de la chute, alors qu'elle sait que l'aspirateur n'a pas été passé... Laura Kasischke sème donc ici et là des indices qui nous permettent de voir que quelque chose ne va pas.

Dans cette narration au long cours, on s'aperçoit en fait que chaque élément est destiné à nous faire partir sur une piste différente. On commence ainsi à entretenir des soupçons, on sait que le roman finira sur une chute inattendue, alors on essaie de la deviner, en tentant de lire à travers les lignes. Et pourtant, malgré tous nos efforts, on ne parvient pas à s'approcher de la vérité. Alors, quand la chute arrive, elle fait son effet de chute : elle provoque un véritable choc chez le lecteur. Et après, on se souvient de quelques éléments qui avaient pu nous mettre la puce à l'oreille sans que l'on sache quoi en penser précisément. On se rend compte qu'en réalité, un grand nombre d'indices étaient là, jusque sous nos yeux.

Voilà le talent de Laura Kasischke : elle nous amène à nous poser des questions, nous donne les clés pour y répondre, mais de façon si cachée qu'on ne voit pas qu'on tient les clés dans la main. Un roman à couper le souffle !