mercredi 4 janvier 2017

Focus sur... Vincent Villeminot

Pour cet article, je ne vais pas me contenter de vous parler d'un seul livre, mais bel et bien de deux, lus à la suite. Tout d'abord, il y a Le copain de la fille du tueur, roman que Vincent Villeminot a sorti en cet automne 2016, et qui m'avait fait envie lors de mon passage dans plusieurs librairies quand je cherchais du travail. A peu près au même moment, cet auteur jeunesse a également publié Samedi 14 novembre, roman qui, comme son nom le laisse aisément deviner, porte sur les attentats du 13 novembre. Vincent Villeminot a également écrit Les Pluies, qui est sorti récemment lui aussi, mais j'avoue qu'il m'intéressait moins que les deux autres, et que je n'ai pas eu l'occasion de le lire. Puisque j'en suis à évoquer les dernières parutions de cet auteur, je dois également citer le dernier tome de la série U4, intitulé Contagion, qu'il a co-écrit avec les trois autres auteurs de la saga (Carole Trébor, Yves Grevet et Florence Hinckel). Mais je dois vous faire un aveu : je ne me suis pas encore lancée dans cette saga (qui pourtant me fait drôlement envie, depuis le temps que j'en entends parler !)...

Mais revenons-en au Copain de la fille du tueur. Chose intéressante à souligner sur ce roman : je pense qu'il s'adresse plus largement à UN lecteur plutôt qu'à une lectrice, fait assez rare en littérature adolescente : la plupart du temps, soit on est dans quelque chose qui s'adresse plus largement aux filles, soit cela peut toucher les deux sexes à part égale. Mais ici, je pense qu'une fille serait peut-être moins sensible à cette histoire q'un garçon ne pourrait l'être. Et cela, dans un premier temps, parce que le narrateur est un garçon. Charles est le fils d'un poète assez connu en Suisse, et il étudie dans un pensionnat privé pour "gosses de riches". Comment qualifier autrement ce lycée où chaque élève dispose de son propre appartement, se fait porter les repas tous les soirs à domicile, etc ? Qui plus est, cet établissement est très largement fréquenté par des enfants de personnalités célèbres, politiques pour la plupart. A commencer par Touk-E, voisin et bientôt meilleur ami de Charles : il est le fils d'un dictateur africain... En dehors de leur richesse, ces deux adolescents vivent une vie semblable à celle de tout lycéen : l'un est bon élève tandis que l'autre n'aime pas les cours, ils font les quatre cent coups comme tout le monde pourrait aussi le faire, et ils passent le plus clair de leur temps à traîner (et fumer des joints) ensemble. Jusqu'au jour où Selma vient perturber cet équilibre. La jeune fille arrive au lycée au milieu de l'année scolaire, et Charles est loin de lui être indifférent. Bientôt, il ne pense plus qu'à elle, et Touk-E ne fait rien pour attiser cette obsession. Pourtant, il s'agit d'un jeu dangereux, surtout quand on sait que le père de Selma n'est autre qu'un narcotrafiquant mexicain, réputé agressif et dangereux. Et si Selma entre malicieusement dans le jeu de séduction (timide, mais pimenté par Touk-E) de Charles, elle ne s'y abandonne pas totalement, et une partie d'elle résiste, peut-être à cause de la menace de son père ?


Dans Samedi 14 novembre, le narrateur est, là encore, un garçon, mais pour autant, il me semble que l'intrigue peut intéresser tout le monde. Notamment parce qu'on part d'un événement qui nous a tous touchés, petits ou grands, garçons ou filles : les attentats du 13 novembre, à Paris. Le narrateur, B., fêtait son anniversaire en terrasse d'un café, en compagnie de son frère aîné. Et il a vu une Clio s'arrêter devant cette terrasse. Des hommes sortir de cette Clio, des armes dans les mains. Ces armes tirer sans s'arrêter partout où elles pouvaient atteindre des victimes. Et si lui s'en sort avec une simple écorchure au bras, son frère n'a pas cette chance. Il ne se relèvera pas. Le choc psychique est trop important pour B. qui décide alors de quitter l'hôpital sans attendre que quelqu'un vienne le chercher et le prenne sous son aile. Il ne sait pas où aller, alors il monte dans une rame de métro, avec son bras en écharpe et son tee-shirt sali par le sang des autres, de son frère. Dans ce métro, presque vide, il croise un regard qu'il reconnaît. Cet homme était assis à l'arrière de la Clio. S'il n'est pas sorti vider des chargeurs sur des innocents, il est complice des hommes qui l'ont fait. Sans savoir pourquoi ni comment, B. décide alors de le suivre. Comme lui, il s'engouffre dans un train pour Lille. Et le voilà au pied d'un immeuble, à guetter une femme arabe qui rapporte des vêtements à cet homme infâme. Sur un coup de tête, B. devient alors un homme qui prend des otages. La violence, c'est quelque chose de nouveau en lui. Mais en ce jour, il est dévoré par le chagrin, et il veut comprendre, il veut obtenir des réponses, et surtout il veut venger son frère. Il se retrouve donc à braquer un pistolet sur un homme, attaché à un tuyau de radiateur, tandis que la soeur de cet homme, musulmane va se soumettre à ses ordres. Avant la discussion, la violence, l'humiliation. Puis la raison revient. B. force l'homme à avouer ce à quoi il a pris part. Il lit alors sur le visage de la soeur, Layla, un dégoût grandissant : elle réprouve les actes de son frère, elle est véritablement en colère contre lui. Peut-être est-ce cette colère qui sauvera B. et qui l'empêchera d'aller trop loin ? En tous cas, on sent que cela aurait pu déraper dans l'autre sens, aisément.

Ces deux romans de Vincent Villeminot, bien que très différents, sont tous les deux très réussis. Le copain de la fille du tueur est un excellent roman pour les garçons, en cela qu'il décrit une histoire d'amour du point de vue d'un garçon, pour un lecteur garçon. L'auteur ne se contente pas d'une histoire sentimentale comme les filles les aiment. Il ajoute du physique, car l'amour ça passe aussi par cela. Pour autant, on n'est pas dans quelque chose de vulgaire. On se contente d'imaginer avec Charles les formes de Selma dans le petit short moulant qu'elle porte lorsqu'elle va courir. Ce genre de situation malicieuse qui rappelle aux adolescents que l'amour, ça n'est pas uniquement une chose un peu mièvre qui ne préoccupe que les filles. Mais cela est contrebalancé par des moments tendres, qui dit aux garçons que ça n'est pas non plus qu'une affaire de pulsions physiques, que les sentiments, c'est aussi pour eux ! Et puis, comme c'est de garçons adolescents qu'on parle, pour les intéresser pleinement, il y a aussi du foot, et un peu de violence. Vincent Villeminot a donc parfaitement su trouver comment parler à des garçons qui ne veulent pas toujours avouer qu'ils sont eux aussi des êtres sensibles, capables de ressentir autre chose que l'excitation des supporters de foot...


Samedi 14 novembre est un roman très touchant. Forcément, puisque cela parle d'un sujet qui nous laisse à fleur de peau. Il n'apporte pas de réponse, il ouvre simplement des portes à la réflexion. Mais ça n'est pas à mon sens son plus grand atout. Ce dernier réside en fait dans l'écriture et la construction du roman. On est dans une tragédie en cinq actes, même si parfois on oublie cette forme particulière, suffisamment en tous cas pour se laisser porter par l'intrigue. Si le roman est centré sur B., on retrouve aussi, par bribes, les voix d'autres personnages : d'autres victimes, une infirmière, la petite amie de B., et une danseuse, qui était en représentation au moment des attentats. Cet enchevêtrement de voix plus douces permet de rythmer les accès de folie, de violence, puis les réflexions de B., et elles rappellent que les victimes, directes ou non, ont été en réalité très nombreuses. Le roman est accompagné de suggestions de musiques, à écouter en même temps que les différents actes. Je ne suis pas très musique, mais j'avoue que ces choix ont été très judicieux : ils permettent de canaliser les émotions qui affleurent forcément en lisant ce roman,et ils ramènent de la beauté et de l'espoir. Même si c'est aussi le but du roman, ces musiques aident beaucoup.

Vincent Villeminot signe donc ici deux magnifiques romans, suffisamment rares pour mériter qu'on parle d'eux. Qui a dit que qualité et quantité n'étaient pas compatibles ? Il nous démontre ici le contraire...

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